Il
était heureux dans le vent, il l’accueillait, à l’écoute. Il était de ceux qui
saisissent une phrase là les autres n’entendent que du vacarme.
.
Il
voulait se souvenir. On est hommes pour ça, sans mémoire un homme est un
précipice.
.
Ils
apprenaient à marcher, du pas qui fait aller ensemble le jeune et l’ancien, les
petits et les femmes enceintes. Ils avançaient tous ainsi donnant l’effet d’un
chœur sur la terre. Ils chantaient pour remplir l’espace menaçant de la
liberté, qui n’est pas une liste d’avantages et de droits, mais le risque de
pénétrer en territoire vide.
.
L’œuvre
était finie, mais pour l’achever et l’amener à la perfection il fallait encore
la septième, qui en musique s’appelle la dominante. Le monde avait été créé
avec un arrangement musical, ses règles répondent à une combinaison de temps,
de tons, de dièses et de bémols. Le couple dernier-né entendait les plus vastes
fréquences, la basse continue de la création.
.
Les
mains sont devant l’homme, elles soutiennent son travail, le verbe
« faire ». Et les paroles font l’homme, elles sont devant lui, elles
le guident ou bien l’égarent.
*
Les
livres devraient rester sans surveillance dans les endroits public pour se
déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils
devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant
d’un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l’hiver, déchirés par les
enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n’importe comment
sauf d’ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l’étagère.
.
Un
arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre et de beauté
extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force
d’élégance. La beauté qui leur est nécessaire c’est du vent, de la lumière, des
grillons, des fourmis et une visée d’étoiles vers lesquelles pointer la formule
des branches.
Le
moteur qui pousse la lymphe vers le haut dans les arbres, c’est la beauté, car
seule la beauté dans la nature s’oppose à la gravité.
.
Un
arbre écoute les comètes, les planètes, les amas et les essaims. Il sent les
tempêtes sur le soleil et les cigales sur lui avec une attention de veilleur.
Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait.
.
Nous
apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont
des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes
grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des
accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie.
.
Il
y a des créatures destinées les unes aux autres qui n’arrivent jamais à se
rencontrer et qui se résignent à aimer une autre personne pour raccommoder
l’absence. Elles sont sages.
*
Ils
sont maladroits les mots de l’absence.
.
C’est
dans la mort seule que la vie est tout entière à qui l’a vécue, et sa
possession est sans donateurs, sans reproches.
.
L’enfance
aurait bien pu durer éternellement, je ne m’en serais jamais lassé.
.
On
grandit en se taisant, en fermant les yeux de temps en temps, on grandit en se
sentant tout à coup très loin de tous les autres.
*
L’homme
savait prévoir, croiser l’avenir en conjuguant sens et hypothèses, son jeu
préféré. Mais l’homme ne comprend rien au présent. Le présent était le roi
au-dessus de lui.
*
Bibliographie
- Et il dit, éditions Gallimard, 2012
- Trois chevaux, éditions Gallimard Folio, 2001
- Pas ici, pas maintenant, éditions Gallimard Folio, 2008
- Première heure, éditions Gallimard Folio, 2012
- Au nom de la mère, éditions Gallimard Folio, 2006
- Aller simple, éditions NRF Gallimard, coll Du Monde
entier, 2012
- Le poids du papillon, éditions NRF Gallimard, coll Du Monde
entier, 2011
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