Voici ce que je
nomme : inquiétude.
Veille et terreur
qui ne cessent de grandir en nous.
Quiétude que nous
espérons,
mais qui nous
quitte au fil de l'âge.
Impossible
apaisement
dont nous portons
le souvenir.
.
Nous avons quitté
le temps des certitudes.
Nous avons été
arrachés à nos propres souvenirs.
Quelque chose sous
nos pieds vacille
et ce n'est pas
l'apocalypse.
C'est un
tremblement plus discret, plus murmuré.
L'inquiétude
grandit et nous aimerions
tant en être
délivrés.
.
Je comprends que
c'est ça, le vingt-et-unième siècle.
Une sédimentation
de fictions
et la prison que
nous construisons,
pierre après
pierre, dans l'espoir
de nous libérer du
vertige.
Pour retrouver un
sol, une Terre,
où habiter
.
Nous sommes des
femmes et
des hommes du
vingt-et-unième siècle,
et nous devons,
maintenant,
apprendre à vivre
entre les langues.
Dans l'inquiétude
informe, métamorphique
de toute chose.
L'effroi au-dessus de nos t^tes.
Partout,
l'inquiétude.
Le tremblement, là,
au bout du jardin,
Et la sonnette du
portillon qui annonce encore,
toujours, que le
temps des mo,stres
et des catastrophes
n'est pas
derrière nous.
*
J'ai laissé parler
le vent qui souffle entre les montagnes.
Je n'ai pas essayé
de t'expliquer : ni l'Islam,
ni le Christ, ni la
Croix, ni les vieilles haines d'Europe.
Je me suis retenu,
car c'est de toi que je veux apprendre.
Ce monde a trop de
passé, il lui faut un avenir, Elias.
Et si j'écris
maintenant le récit de notre traversée,
ce n'est pas pour
remplir ta vie,
mais pour vider la
mienne.
J'écris pour faire
de la place.
Ce récit, je
voudrais qu'il soit comme les friches
après les guerres,
quand les enfants se remettent à courir
et s'y retrouvent
pour jouer, crier, ou défier leurs peurs.
.
Chez les écrivains,
comme chez les bourgeois,
on tend à préférer
ce qui demeure :
la langue,
l'argent, ce sont de vieux plis,
une même passion
de ce qui se transmet.
Mais il en va de
l'argent comme de la langue.
Si les vieux plis
ne sont pas brusqués,
tout finit dans la
poussière.
Les services à
thé, les parquets centenaires,
les broderies
hongroises,
ce sont des formes
cristallisées du temps
qui ne valent plus
rien.
Et la langue, ma
langue, celle que je me croyais
en devoir de
servir, elle aussi meurt
d'être conservée,
comme l'argent,
comme la mémoire.
*
Plutôt
que de modifier des états de savoir, de pouvoir, les théories
définissent des possibles demeures à l'intérieur des quelles des
habitants de la théorie s'installent et cherchent à vivre en
appliquant ce qui se pensait a priori comme déplacement des normes
et qui finit par devenir un nouveau cadre normatif.
.
Être
potentiel, c'est être attentif à ce qui pourrait être, c'est
oeuvrer à ce qui serait, c'est enquêter sur ce qui aurait pu être.
.
Une
vie suffit à peine à voir ce qui se transforme, ce qui a lieu. La
seule considération de ce double temps – compter deux vies au
moins pour apercevoir ce qui se modifie – suffirait à nous
arracher à la mélancolie de l'impuissance, à reposer, au cœur de
la pensée, la place de la transmission.
.
Dire
que le futur revient, non comme piège ou ruse, c'est déjà mettre
en avant un désir de penser l'avenir autrement que pour la mort.
.
Nous
sommes encore porteurs d'une rhétorique de l'émancipation, de
l'égalité, mais nous échouons à imprimer dans le présent les
trajectoires désirables pour l'avenir.
.
Comment
produire encore de l'évènement, du commencement, de l'imprévisible,
sans pour autant retomber dans les écueils d'une vision progressiste
de l'histoire ?
.
Le
futur est maintenant et ce maintenant est une infinité de
maintenant. Un « maintenant » constamment fragmentaire,
où ces fragments ne sont pas pour autant additifs et ne suggèrent
pas de totalité ni de tout.
.
Les
siècles sont des bornes, traversés de trois, de quatre générations
humaines, d'une génération d'arbres, de nombreuses générations de
chiens, d'innombrables générations de plantes. Des évènements les
scandent, des inventions les transforment, des mémoires les
teintent, des sentiments s'y impriment et l'ensemble compose une
façon d'habiter le monde, d'en penser les limites, d'en concevoir
les lois.
.
Nous aurons
accompli notre tâche – ce à quoi nous sommes prédisposés – si
nous oeuvrons à une ouverture maximale des lignes de possibilités,
de transformations historiques, ontologiques, politiques.
.
Tel fut le tracé,
la ligne issue du XXe siècle : une culpabilité décrétée à
l'égard de toute tentative de transformer le monde.
.
Nous sommes
phonétiquement capables de tous les sons et l'apprentissage d'une
seule langue est, à cet égard, une réduction de nos capacités.
*
Bibliographie
L'inquiétude d'être au monde, éditions Verdier, 2010
Oublier trahir puis disparaître, éditions du Seuil, 2014
Avec Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, Les potentiels du temps, Manuella éditions, 2016
L'inquiétude d'être au monde, éditions Verdier, 2010
Oublier trahir puis disparaître, éditions du Seuil, 2014
Avec Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, Les potentiels du temps, Manuella éditions, 2016